Un regard humaniste sur l’immigration

« Nous nous trouvons à un carrefour où s'entrechoquent croyances du passé et images de l'avenir.
La planète s'étant mondialisée, c'est dans une intercommunication sans précédent des peuples et des cultures que s'imbriquent traditions, croyances, valeurs, modes de vie et conceptions du monde….
Simultanément, l'avancée technologique provoque une ouverture vers de nouveaux horizons et réveille des aspirations qui incitent l'être humain à vouloir aller au-delà du connu, au-delà des limites spatio-temporelles admises.
Les répercussions de la mondialisation remettent en question notre regard et nos interprétations du monde. Ceux qui croient détenir les rênes du monde tentent de dévier la mondialisation vers la globalisation, c'est-à-dire de tout uniformiser sur la base de la valeur argent qu'ils mettent au service de leurs intérêts, provoquant ainsi un monde de conflits, de vengeance et de destruction.
Cependant, dans ce monde asphyxiant commence à se manifester, avec force, une nouvelle sensibilité, celle d'une humanité qui agit en cohérence avec ses aspirations. »*
Une sensibilité qui pousse vers une Nation Humaine Universelle qui serait fondée sur les valeurs qui ont caractérisé toutes les périodes humanistes que l'histoire a connues basée sur :
L'être humain comme valeur et préoccupation centrale (et non Dieu, l'Etat, l'argent)
L'affirmation de l'égalité de tous les êtres humains (égalité des chances)
La reconnaissance de la valorisation de la diversité personnelle et culturelle
Le développement de la connaissance au-delà de ce qui est accepté comme vérité absolue
L'affirmation de la liberté d'idées et de croyances
Le rejet de toute forme de violence (économique, religieuse, sexuelle, psychologique, raciale, physique)
L'intentionnalité humaine
La mondialisation est un phénomène historique inéluctable, car se déplacer, être curieux, découvrir d'autres lieux et personnes, apprendre sans limite, correspond à une/l'intentionnalité humaine.
Egalement l'être humain cherche à échapper à la douleur et à la souffrance et légitimement recherche pour le futur une situation de vie meilleure pour lui-même et ses enfants.
Droit de circuler et de s'installer partout sur la planète
Ainsi, Il est indispensable d'affirmer le droit pour chaque être humain de circuler, de s'installer et de vivre dignement partout sur la planète. Ce droit doit être un objectif pour l'humanité. Toute limitation a des conséquences graves dans la vie des êtres humains.
*extrait du Manifeste du Forum Humaniste - Madrid mai 2018
Approches antihumanistes et humanistes
Les positions sur le thème de l'immigration et l'accueil des migrants peuvent être analysées et être caractérisées selon plusieurs angles. Il est important de bien situer quelles idéologies antihumanistes ou humanistes sont à la base des propositions qui en émergent.
Les approches antihumanistes
L'approche antihumaniste se caractérise fondamentalement par son mépris de l'être humain et par la mise en œuvre de mesures essentiellement répressives.
Les néo fascistes, par exemple, voient en l'immigré un délinquant, un concurrent qui va « prendre le travail des locaux», un parasite, un assisté, une charge... Les étrangers étant selon eux, responsables du chômage, du terrorisme, de la crise des finances publiques du manque de logements, de l'insécurité.
Ils veulent supprimer le droit du sol, sortir de l'espace Schengen, instaurer la préférence nationale et systématiser les expulsions d'étrangers en situation irrégulière. Durcir les règles du regroupement familial, conditionner les aides sociales, supprimer l'aide médicale de l'État.
Dans les polémiques politiques, on utilise des fantasmes pour faire peur ou pour impressionner les gens. La moindre agression commise par un migrant sera utilisée pour développer la peur et les discriminations. Et il suffira qu'ici ou là, des migrant-e-s soient bien traité-e-s pour agiter les jalousies.
Les partisans d'un traitement humain des êtres humains (y compris des migrant-e-s) seront accusés de donner des leçons de morale par des cyniques. Ceux-là diront : « vous êtes en faveur des migrants mais vous n'en subissez pas vous-mêmes les conséquences. Pourquoi ne les accueillez-vous pas chez vous, dans votre maison, puisque vous les aimez tant ? Pourquoi vos enfants ne vont-ils pas dans les mêmes écoles ? Nous, nous défendons le peuple réel qui souffre de tout ça. » Ces cyniques utilisent n'importe quelle opportunité pour disqualifier toute posture éthique humaniste et justifier leur antihumanisme et leurs privilèges.
Leurs politiques alimentent la peur de l'autre, la discrimination et le racisme.
D'autres se disant « démocrate » ou « socio-démocrate » et s'autoproclamant représentants de « l'humanisme », proposent la création de hot spots hors de l'Europe et de financer des pays afin de maitriser les flux migratoires. Ils prétendent en parallèle aider les pays africains mais il s'agit surtout de cheval de Troie pour des échanges commerciaux fortement déséquilibrés. Ils veulent sélectionner entre bons et mauvais migrants en créant un titre de séjour « talent » et instaurer des quotas d'immigrés par origines nationales. Ils souhaitent pour lutter contre l'immigration clandestine renforcer le Frontex, sorte de corps de gardes-frontières européen. C'est une approche dite « pragmatique », en fait affairiste, l'aspect répressif y étant intégré sous une forme plus hypocrite (faire faire le sale boulot par des pays tiers, Lybie, Turquie...).
Ces politiques de fermeture des frontières ou de limitation des migrations précarisent la situation des migrant-e-s, les contraignant à la clandestinité les rendant ainsi plus exploitables pour le marché du travail.
Toutes ces politiques ne remettent pas en cause les phénomènes responsables des migrations à savoir le grand capital et la chaine d'industrie et de multinationales à son service. Elles ne remettent pas en cause la violence de ce système qu'au contraire, elles renforcent et amplifient par leurs politiques internationales. Elles favorisent les pillages des ressources naturelles, les guerres, les traités commerciaux au seul profit des multinationales.
Les approches humanistes
Quel devrait être l'objectif d'une politique plaçant la considération première sur l'être humain ?
Parfois, on imagine que l'on pourrait prévenir les migrations avec une meilleure répartition des richesses sur la planète, avec un meilleur développement économique et social, avec moins de violences et moins de guerres… Certes ces objectifs d'égalité, de développement et de paix sont valables par eux-mêmes mais ils n'ont pas pour but la limitation des migrations. Il arrive même qu'à certains stades de développement économique et social, les échanges éducatifs et le commerce stimulent les mobilités. Ces mobilités peuvent aussi stimuler le développement économique et social, pas seulement dans les pays d'accueil, mais aussi dans les pays d'origine, par les transferts de fonds des migrant-e-s notamment.
L'objectif de limiter les migrations ne peut pas être un objectif pour une politique ayant le souci de l'être humain. Une telle politique humaniste doit viser l'égalité des êtres humains (y compris dans leurs possibilités de se déplacer sur la planète) et la liberté. La liberté des autres nous aide à nous libérer nous-mêmes, les pays et les humains étant interconnectés.
Le sentiment partagé communément dans un groupe humain de constituer un « nous » qui se distingue fondamentalement d'un « eux », les « autres » fonctionne particulièrement bien au niveau d'un État-nation. Il paraît normal au citoyen de l'État « A » d'avoir des privilèges, dans son pays « A », vis-à-vis des citoyens des autres États. Cela semble normal car cela est enraciné profondément dans les esprits par l'idéologie de l'État nation, parce que la citoyenneté nous semble naturellement attachée à un État et non pas à la planète ou à l'humanité. Mais jusqu'à que point se justifie cette discrimination ?
Cette frontière de la justification de la discrimination est mentale, culturelle et construite dans un contexte politique encadré par l'État nation. Elle n'a rien de naturel. Aujourd'hui, les discriminations dont souffrent les êtres humains dans les migrations internationales sont graves. Beaucoup de migrant-e-s subissent des violences physiques, économiques, racistes. C'est encore pire pour les femmes. Pour éviter ces violences, il est indispensable d'affirmer l'objectif de la liberté de circulation des êtres humains sur la planète.
Liberté de circulation : OK. Mais est-ce que cela entraîne forcément le droit de s'installer dans un autre pays ? L'histoire de l'humanité nous enseigne que cela fonctionne et que cela n'est pas un coût pour le pays d'accueil, mais un apport positif. Les pays les plus riches de la planète sont des pays d'immigration. Sont-ils des pays d'immigration parce qu'ils sont riches ou sont-ils riches parce qu'ils sont des pays d'immigration ? Les deux !
Mais quand un peuple a son identité, sa culture, ne peut-il pas se sentir menacé par l'arrivée massive d'étranger-e-s ? Bien sûr, c'est le cas. Mais comme dans le passé, les identités des groupes humains (y compris, celles des pays) sont toujours en train d'évoluer. On pourrait se poser la question suivante : l'identité de notre peuple est-elle si faible qu'elle ne pourrait pas accueillir, intégrer ces nouvelles personnes ? Tant de pays l'ont fait et continuent à le faire dans le monde, pourquoi pas nous, pourquoi pas maintenant ? La meilleure façon de construire son identité et de la respecter n'est pas dans la fermeture mais dans la reconnaissance mutuelle des apports de chacun. Il se peut qu'il y ait des conflits, des tensions (comme à l'intérieur des familles ou des villages) mais c'est ensemble que nous construisons un pays.
Sur l'argument de la politique concrète que l'on devra assumer réellement si on est en situation de décider de l'avenir du pays, le thème des migrations n'est pas différent des thèmes économiques ou éthiques. Premièrement, il faut avoir clair l'objectif, le but d'une politique humaniste. Il ne s'agit pas d'humaniser un pays isolé mais la planète toute entière. Donc, l'objectif doit être le droit pour chaque être humain de vivre dignement en n'importe quel endroit de la planète. C'est un objectif moral, de liberté et d'égalité. De la même façon, nous devons affirmer un objectif de non-violence et de paix.
Si l'approche humaniste refuse la distinction entre réfugiés et immigrés économiques et reconnait le droit à la solidarité, elle est consciente du fait qu'il faut à la fois de lutter contre les causes des migrations forcées et mettre en place un plan d'accueil respectueux de la dignité des personnes migrantes.
Mais au delà des aspects humanitaires évidents concernant le sauvetage, la solidarité face à la détresse humaine, l'approche humaniste est un projet internationaliste pour aller ensemble avec les autres peuples vers une nation humaine universelle.
Face au mondialisme économique et à la crise des états/nation, les humanistes de tous les pays mettent en place un projet de nation humaine universelle ; en cela ils ne répondent pas simplement aux effets de la crise migratoire mais proposent un projet plus vaste qui en inclut la résolution.